dimanche 19 septembre 2010

OTAGE

C’était l’année du baccalauréat, je crois.
L’année de mes dix-neuf ans.
En 1969 selon le calendrier dit Grégorien.
J’étais interne à Fas.[1]
Il portait toujours une jllaba[2] en laine.
Je l’ai certainement vu autrement, en tenue de sport ou en pyjama,[3] par exemple, mais je n’en ai aucun souvenir.
J’ai beau faire des efforts pour me remémorer, je ne le revois qu’avec son épaisse jellaba en laine blanche et noire.
Et ses petites lunettes de vue.
Il ne faisait pas partie des groupes formés par les uns et les autres, mais pouvait s’y joindre au gré de ses envies.
Il était discret, parlait peu, d’une voix faible et douce.
Sa sympathie n’a jamais était feinte.
J’aimais le taquiner, mais pas pour l’énerver.
D’ailleurs, pas une seule fois je ne l’ai vu fâché.
Après le déjeuner,[4] le vendredi et le dimanche,[5] nous pouvions sortir jusqu’au dîner.
Les internes sortaient toujours à deux, trois ou même plus.
Un interne sortait rarement seul.
Lui le faisait.
Un soir, il n’était pas revenu.
Ni le lendemain, ni le surlendemain.
Nous pensions qu’il s’était rendu chez lui pour des raisons familiales.
Quelques jours après, il était de retour.
Je ne sais pas comment il a expliqué son absence à l’administration, mais à nous, il ne voulait rien dire.
Il était devenu plus grave et parlait encore moins.
Il était très préoccupé.
Du temps a passé.
Et un jour, il a décidé de nous raconter.
Le vendredi[6] après le déjeuner, il est sorti seul comme il lui arrivait de le faire.
Il avait décidé de passer l’après-midi dans la vieille ville.[7]
En quittant les axes connus, il s’était vite perdu dans des dédales qu’il n’imaginait pas.
Et plus il cherchait à les quitter, moins il se repérait.
Dans une ruelle déserte, il a été happé.
Une porte s’était ouverte et il s’était trouvé à l’intérieur d’une demeure.
Il n’a jamais su comment.
Dés le patio, une certaine opulence se dégageait des lieux.
Devant lui, une jeune et belle femme avec une servante.
La femme était en rut et se retenait pour ne pas lui sauter dessus tout de suite.
Elle lui a immédiatement fait savoir qu’elle allait le garder et qu’elle déciderait du jour de son départ, en ajoutant que s’il n’obéissait pas à tout ce qu’elle demanderait ou s’il essayait de lui fausser compagnie, les conséquences seraient tragiques pour lui.
Elle voulait baiser.
L’époux était absent pour un certain temps[8] et la « voie » était donc « disponible ».
Et pendant plusieurs jours, ils n’ont pas arrêté les ébats.
Ils prenaient un peu de temps pour manger, pour se reposer et se remettaient à la baise.
Du sexe à n’en plus finir.
Il ne pensait pas survivre à ce que cette créature entreprenait.
Et puis un jour, elle a décidé de le mettre dehors en lui ordonnant d’oublier ce qui s’était passé.
Il ne savait pas comment il a retrouvé le chemin et n’arrivait pas du tout à se rappeler de l’adresse de sa ravisseuse.
Quelle a été notre réaction ?
Avions-nous, refusé d’y croire parce que l’histoire nous dépassait et que nous n’avions rien dit pour ne pas bouleverser davantage notre camarade ?
Avions-nous refusé d’admettre, sans le dire, l’existence de faits de cette nature dans un « pays musulman » ?[9]
Avions-nous eu d’autres attitudes ?
Je ne sais pas.
Cette histoire m’est revenue avec une certaine « insistance » je ne sais pas pourquoi, et mes efforts pour essayer de me souvenir de ma réaction et des réactions d’autres internes, ne débouchent sur rien.
Après les épreuves du baccalauréat, je n’ai plus jamais eu la moindre nouvelle de ce camarade.[10]



BOUAZZA

[1] Fes.
[2] « Djellaba », longue robe avec capuchon, en laine ou autres matières.
[3] Obligatoire à l’internat.
[4] Les internes pouvaient sortir la veille (cela s’appelait les grandes sorties) ou dans la matinée.
[5] Les jours où nous n’avions pas cours.
[6] Ou peut-être le dimanche, je ne sais plus.
[7] La médina.
[8] Certaines épouses « modernes » font venir des hommes au domicile conjugal et lorsque les époux ne sont pas absents, ils doivent manifester leur « plaisir » de rencontrer les « collègues de travail » et les « amis » des épouses !
Et vice versa.
[9] J’ai compris plus tard que les croyants et les croyantes (almouminoune wa almouminaate) sont partout, mais qu’il n’y a malheureusement pas de pays musulman.
[10] Voir :
http://raho.over-blog.com
http://paruredelapiete.blogspot.com
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com

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