« Par les chevaux qui halètent. Qui font jaillir des étincelles. Qui montent à l’assaut à l’aube. Qui font voler la poussière. Et pénètrent au milieu du rassemblement ennemi. L’être humain est ingrat envers son Seigneur ».[2]
Il accomplissait la prière de l’aurore,[3] et cette récitation sentait « la nostalgie douloureuse et sereine à la fois de cette autre vie qui était la nôtre et vers laquelle nous étions destinés à retourner tous, vainqueurs et vaincus, accomplis ou à l’état larvaire, fidèles et athées, de par la Toute Miséricorde de Dieu ».[4]
Que dire de ce qui a été et comment parler de ce qui sera ?
Que dire de ce qui s’en va et comment parler de ce qui demeure ?
Que dire de ce qui cesse et comment parler de ce qui commence ?
Il a passé quinze ans en détention pour « atteinte à la sûreté de l’État ».
Des personnes sans nombre ont subi le même sort[5] dans des pays dits « musulmans » et ailleurs.
Des pays où les populations font face aux multiples visages de l’horreur depuis des siècles :
Le système d’avant le colonialisme, le colonialisme, « l’indépendances dans l’interdépendance », l’impérialo-sionisme et autres.
Il a été enlevé en plein jour et mis au secret dans un lieu de tortures.
Les yeux bandés, les poignets menottés, il a été jeté parmi d’autres comme un paquet d’ordures.
Les gémissements, l’odeur nauséabonde, les insultes, les bruits des coups lui ont fait comprendre qu’il était dans un lieu où la notion d’être humain était inconnue.
Il n’allait pas tarder à mesurer qu’il était en deçà de ce qu’il avait compris à son arrivée.
L’ordre lui a été immédiatement intimé de s’allonger sur le dos à même le sol sur une « couverture » répugnante,[6] de ne pas bouger, de ne pas retirer le bandeau,[7] de ne pas parler sauf pour demander à être accompagné aux toilettes,[8] et de ne s’asseoir[9] que pour ingurgiter ce qui devait lui permettre de ne pas crever de faim[10] avant d’avoir livré toutes les informations qui lui seraient demandées.
Dans le lieu où il a été jeté, il ne pouvait pas voir les autres alignés comme des cadavres,[11] avec les atroces douleurs de corps déchiquetés par les tortures.
Deux jours après son arrivée, il a été livré à des criminels :
Complètement dénudé, ses pieds ont été transformés en bouillie par les coups.
Il a été maintenu la tête dans une eau crasseuse jusqu’à l’évanouissement.
Il a eu des décharges électriques partout.
Il a été mis de force assis sur le goulot d’une bouteille qui lui a déchiré l’anus.
Les séances de tortures se répétaient.
Un jour, il était à l’agonie quand il a entendu des aboiements et senti la présence du chien dressé pour violer les torturés.
Lorsque le chien a refusé de faire ce qu’il devait, une détonation a retenti, suivie du gémissement de l’animal qu’un des criminels venait de flinguer.
Des semaines plus tard, le corps complètement abîmé, il a été transporté dans le « bureau » du « commissaire » pour apprendre qu’un procès[12] allait avoir lieu et qu’il serait jugé par contumace parce que vis-à-vis de l’extérieur, comme beaucoup d’autres torturés disséminés dans les multiples lieux de tortures, il était en fuite après avoir « mis les institutions en danger ».
Les « médias » donneraient plus tard des « informations » sur son arrestation ou, a précisé le « commissaire » avec un sourire maussade, sur sa mort si les « forces de l’ordre » étaient obligées de tirer dans le cadre de la « légitime défense ».
Il a été condamné à quinze ans de prison.
Personne ne savait où il était, ni ne pouvait imaginer ce qu’il subissait avec d’autres.
Il a été livré aux tenants d’un bagne qui avait servi au colonialisme contre les Résistants traités de « terroristes ».
Il a fallu de nombreux mois pour que sa famille le découvre après des efforts inouïs, des désagréments sans nombre, des ennuis multiples et des démarches douloureuses et coûteuses.
Des prisonniers[13] meurent en détention, d’autres deviennent gravement malades, handicapés physiques et mentaux, cassés, ravagés, délabrés, usés, détruits.[14]
Des lieux de tortures et des bagnes de ce genre sont partout.
Les personnes qui continuent la Résistance aussi.[15]
BOUAZZA
[1] Et ne crois pas qu’Allaah soit inattentif à ce que font les injustes. Il ne fait que les retarder pour un jour où les regards se figeront.
Alqoraane (Le Coran), sourate 14 (chapitre 14), Ibraahiime (le « r » roulé), Abraham, ayate 42 (verset 42).
[2] Alqoraane (Le Coran), sourate 100 (chapitre 100), Al’aadiyaate, Les Chevaux qui Galopent, aayate 1 à aayate 6 (verset 1 à verset 6).
[3] Assobh.
[4] Driss Chraïbi, succession ouverte, Paris, Denoël, 1962.
[5] Et le subissent encore.
[6] Par la suite, cette « couverture », et celle aussi répugnante par laquelle il était couvert, étaient pour lui un bien précieux.
[7] Les gardiens lui ont fait savoir que même avec les menottes certains retiraient le bandeau mais que lorsqu’ils étaient pris, ils regrettaient d’être nés.
[8] Un endroit de la puanteur.
[9] Il ne pouvait plus le faire après les séances de tortures et essayait de « s’alimenter », allongé.
[10] Une pitance difficile à avaler au début, tellement elle était infecte, mais qu’il avait fini par apprécier ensuite.
[11] Ils restaient dans cette position des semaines, voire des mois.
[12] Les « puissances dominantes » tiennent à ce que des procès aient lieu pour soigner la vitrine de leurs pions et disserter sur le « droit » des accusés garanti par la présence des « avocats » !
[13] De divers lieux de détention disséminés partout.
[14] Parmi les survivants, certains sont devenus des « personnalités » assoiffés d’argent et de « notoriété », au service du système de « l’indépendance dans l’interdépendance » mis en place par les « puissances dominantes » pour les servir.
Des résistants ayant « séjourné » dans des bagnes, avaient été enrôlés dans le système et s’étaient illustrés dans l’oppression des populations, l’usurpation, le vol, la débauche et les multiples autres crimes.
[15] Voir :
http://raho.over-blog.com/
http://paruredelapiete.blogspot.com/
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com/
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