J’ai très peu parlé de mon frère aîné dans ce que j’ai mis sur le « net ».[1]
Mon neveu, enseignant universitaire et journaliste, s’est attelé à cette besogne dans ce texte daté du 16 décembre 2006 :[2]
« Dctor dial lkhra » est l’aîné de mes oncles maternels.
Il a vu le jour en 1939,[3] à Tedders,[4] dans le Moyen Atlas[5] marocain.
On raconte que son père,[6] donc mon grand-père, qui fréquentait encore le collège d’Azrou,[7] était en train de jouer à « chirra »[8] lorsqu’il a été informé de la naissance de son fils.[9]
« Dctor dial lkhra » a grandi à Tedders.
Il a failli ne pas aller à l’école.
Il était livré à lui-même et passait ses journées entre l’abreuvoir, le souk et la « gare routière » de Tedders, un petit village perché, face à l’horizon infini des Zemmours.
Il avait peut-être neuf ans lorsqu’un Français le « découvre », un jour, prés de l’abreuvoir, mal vêtu, affamé et plongé dans un sommeil qui ressemble à la mort.
Il le réveille d’un léger coup de pied et lui demande le nom de son père, qu’il reconnaît facilement.
Le Français décide alors de le scolariser.
Après le père, le fils est donc envoyé à son tour au collège d’Azrou.[10]
Il rejoint par la suite un lycée à Rabat, où il côtoie la future élite fassie[11] et rbatie[12] qui prendra les rênes du pouvoir au Maroc de « l’indépendance dans l’interdépendance ».
Le baccalauréat décroché en 1959, lui permet d’aller en France pour entreprendre des études de droit à Lyon.
Il fait la connaissance d’une Française qui l’accompagne au Maroc en 1969.[13]
Un de mes oncles[14] vivant aujourd’hui en France, m’a raconté que « Dctor dial lkhra » a caché cette Française à Khémisset, chez sa soeur[15] pour ne pas en parler à mon grand-père.
Ce même oncle a ajouté, avec son rire nerveux et rusé, que mon grand-père a eu vent de la présence de la Française dès qu’elle a mis les pieds au Maroc.[16]
Le couple « mixte » s’installe à Rabat suite à l’affectation de « Dctor dial lkhra » au ministère de l’Intérieur où mon grand-père avait son réseau, ses « amitiés », ses entrées et ses sorties.
J’ai appris par mes parents que cette Française a beaucoup sympathisé avec ma mère.
« Dctor dial lkhra » était souvent absent et voulait faire croire qu’il avait « beaucoup de travail », que ses « responsabilités » étaient immenses dans un ministère aussi « important et sensible » que celui de l’Intérieur, et qu’il était « devenu quelqu’un ».
En réalité, il était tout simplement un petit serviteur d’un régime criminel.
En tant qu’alcoolique, il passait beaucoup de temps avec les saoulards de « l’Intérieur », des incompétents sans foi ni loi.
Quand il revenait chez lui le soir, complètement ivre, il retrouvait sa compagne Française, vomissait, criait, insultait.
Son ego enflait et prenait des proportions alarmantes.
Il tenait absolument à faire admettre qu’il était « plus qu’important » :
Exceptionnel, rare, rarissime, indispensable et que de ce fait, personne ne devait lui tenir rigueur de quoi que ce soit !
Des membres de la famille pardonnaient, ceci d’autant plus qu’il ne vivait pas avec eux.
Mais par rapport à sa compagne, avec laquelle il partageait l’intimité de l’intimité, cela ne pouvait pas durer.
Elle pardonnait mais la situation empirait.
Chez mes parents où elle se rendait de plus en plus, elle avait fini par avouer à ma mère que « Dctor dial lkhra » la battait.
Un jour, elle est venue avec une jeune femme aux yeux perçants, au regard dur : c’était sa sœur, plus jeune qu’elle.
Mon père nous a raconté, plusieurs années plus tard, qu’il avait entendu cette jeune soeur dire à la grande :
« Tu n’as plus rien à faire avec ce minable. Tu vas retourner en France sans tarder ».
Deux ou trois mois après, elle est y est retournée.
Définitivement.[17]
Elle n’a rien emporté.
L’oncle qui vit en France me l’a confirmé en m’apprenant qu’il lui avait lui-même ramené certaines de ses affaires.[18]
En 1977, « Dctor dial lkhra » devient député d’Oulmès[19] grâce au ministère de l’Intérieur qui falsifie tout.
Il était marié et avait deux enfants, un garçon et une fille.[20]
Sa femme, presque analphabète, est la fille d’un flic[21] originaire de la région de Tiflet.[22]
En 1984, lorsqu’il n’était plus député, « Dctor dial lkhra » retrouve le ministère de l’Intérieur.
Il boit de plus en plus, et plonge dans la schizophrénie.
Il sait qu’il fait partie d’une structure de salauds, et cherche cette fois à faire croire qu’il est un « Don Quichotte », victime de la pourriture contre laquelle il se bat de l’intérieur pour tout changer.
En 1988, quelques hauts responsables du ministère de l’Intérieur, sans doute par « pitié » pour lui, l’aident à soutenir une thèse de doctorat en droit à Lyon.
Ils contactent deux ou trois professeurs, des juristes qui ont fait fortune dans la promotion des pratique sanguinaires au Maroc, des courtisans patentés du système qui y sévit, et leur demandent de concocter une « soutenance » afin qu’il devienne « Docteur en droit » de la faculté Jean Moulin de Lyon.
Et c’est ainsi qu’il est devenu « Docteur dial lkhra ».
Mon oncle qui vit en France s’est déplacé pour assister à cette « soutenance » parce qu’il est poli et parce qu’il a le sens de la fraternité.
Il m’a fait savoir un jour que c’était une mascarade !
Lorsqu’il a été complètement éjecté du ministère, « Dctor dial lkhra » s’est mis à publier des écrits.
Son premier livre, publié en 1996 je crois, est une sorte de compilation bâclée et ennuyeuse.
« Dctor dial lkhra » n’arrête pas de boire et de se plaindre de sa femme.
Il est souvent mal vêtu, affamé.
Il est livré à lui-même, comme lorsqu’il était enfant à Tedders où il se rend de plus en plus.
Il s’arrête toujours à l’abreuvoir près duquel il était plongé dans un sommeil de cadavre.
Il traîne autour du souk où il errait.
Il marche et s’attarde à la gare routière.
Il ne veut pas retrouver le domicile à Rabat.
À Tedders, le peuple l’accueille.
Ce peuple dont il s’est éloigné pendant longtemps, essentiellement lorsqu’il se considérait comme une « personnalité », lui donne à manger et le fait rire.
Alors il mange et il rit de toute sa bouche édentée.
[…].
Je ne le qualifie pas de « Dctor dial lkhra » par mépris.
Non.
Je le fais par rage.
Je lui en veux
J’ai beaucoup d’affection pour lui, mais je le qualifie ainsi parce que chaque fois que je le vois, j’ai mal et je souffre.
Il y a deux ans, il m’a offert son dernier livre publié.
Je l’ai lu.
Il est mieux écrit, mais sans intérêt.
Un petit passage cependant a attiré mon attention :
"Il est dans la nature humaine de piétiner les hommes qu’on a adorés hier. L’homme qui tombe parce que la société l’a puni sombre dans le crépuscule d’une traversée du désert sans issue et sans fin. On mesure alors la sagesse de l’Ecclésiaste : Vanité des vanités, tout est vanité… J’ai donc observé tout ce qui se passe sous le soleil et j’ai vu que tout est vanité, poursuite du vent" ».
Chaque fois que je vois ce neveu lors de ses séjours en France, nous parlons de « Dctor dial lkhra ».[23]
Mon neveu, enseignant universitaire et journaliste, s’est attelé à cette besogne dans ce texte daté du 16 décembre 2006 :[2]
« Dctor dial lkhra » est l’aîné de mes oncles maternels.
Il a vu le jour en 1939,[3] à Tedders,[4] dans le Moyen Atlas[5] marocain.
On raconte que son père,[6] donc mon grand-père, qui fréquentait encore le collège d’Azrou,[7] était en train de jouer à « chirra »[8] lorsqu’il a été informé de la naissance de son fils.[9]
« Dctor dial lkhra » a grandi à Tedders.
Il a failli ne pas aller à l’école.
Il était livré à lui-même et passait ses journées entre l’abreuvoir, le souk et la « gare routière » de Tedders, un petit village perché, face à l’horizon infini des Zemmours.
Il avait peut-être neuf ans lorsqu’un Français le « découvre », un jour, prés de l’abreuvoir, mal vêtu, affamé et plongé dans un sommeil qui ressemble à la mort.
Il le réveille d’un léger coup de pied et lui demande le nom de son père, qu’il reconnaît facilement.
Le Français décide alors de le scolariser.
Après le père, le fils est donc envoyé à son tour au collège d’Azrou.[10]
Il rejoint par la suite un lycée à Rabat, où il côtoie la future élite fassie[11] et rbatie[12] qui prendra les rênes du pouvoir au Maroc de « l’indépendance dans l’interdépendance ».
Le baccalauréat décroché en 1959, lui permet d’aller en France pour entreprendre des études de droit à Lyon.
Il fait la connaissance d’une Française qui l’accompagne au Maroc en 1969.[13]
Un de mes oncles[14] vivant aujourd’hui en France, m’a raconté que « Dctor dial lkhra » a caché cette Française à Khémisset, chez sa soeur[15] pour ne pas en parler à mon grand-père.
Ce même oncle a ajouté, avec son rire nerveux et rusé, que mon grand-père a eu vent de la présence de la Française dès qu’elle a mis les pieds au Maroc.[16]
Le couple « mixte » s’installe à Rabat suite à l’affectation de « Dctor dial lkhra » au ministère de l’Intérieur où mon grand-père avait son réseau, ses « amitiés », ses entrées et ses sorties.
J’ai appris par mes parents que cette Française a beaucoup sympathisé avec ma mère.
« Dctor dial lkhra » était souvent absent et voulait faire croire qu’il avait « beaucoup de travail », que ses « responsabilités » étaient immenses dans un ministère aussi « important et sensible » que celui de l’Intérieur, et qu’il était « devenu quelqu’un ».
En réalité, il était tout simplement un petit serviteur d’un régime criminel.
En tant qu’alcoolique, il passait beaucoup de temps avec les saoulards de « l’Intérieur », des incompétents sans foi ni loi.
Quand il revenait chez lui le soir, complètement ivre, il retrouvait sa compagne Française, vomissait, criait, insultait.
Son ego enflait et prenait des proportions alarmantes.
Il tenait absolument à faire admettre qu’il était « plus qu’important » :
Exceptionnel, rare, rarissime, indispensable et que de ce fait, personne ne devait lui tenir rigueur de quoi que ce soit !
Des membres de la famille pardonnaient, ceci d’autant plus qu’il ne vivait pas avec eux.
Mais par rapport à sa compagne, avec laquelle il partageait l’intimité de l’intimité, cela ne pouvait pas durer.
Elle pardonnait mais la situation empirait.
Chez mes parents où elle se rendait de plus en plus, elle avait fini par avouer à ma mère que « Dctor dial lkhra » la battait.
Un jour, elle est venue avec une jeune femme aux yeux perçants, au regard dur : c’était sa sœur, plus jeune qu’elle.
Mon père nous a raconté, plusieurs années plus tard, qu’il avait entendu cette jeune soeur dire à la grande :
« Tu n’as plus rien à faire avec ce minable. Tu vas retourner en France sans tarder ».
Deux ou trois mois après, elle est y est retournée.
Définitivement.[17]
Elle n’a rien emporté.
L’oncle qui vit en France me l’a confirmé en m’apprenant qu’il lui avait lui-même ramené certaines de ses affaires.[18]
En 1977, « Dctor dial lkhra » devient député d’Oulmès[19] grâce au ministère de l’Intérieur qui falsifie tout.
Il était marié et avait deux enfants, un garçon et une fille.[20]
Sa femme, presque analphabète, est la fille d’un flic[21] originaire de la région de Tiflet.[22]
En 1984, lorsqu’il n’était plus député, « Dctor dial lkhra » retrouve le ministère de l’Intérieur.
Il boit de plus en plus, et plonge dans la schizophrénie.
Il sait qu’il fait partie d’une structure de salauds, et cherche cette fois à faire croire qu’il est un « Don Quichotte », victime de la pourriture contre laquelle il se bat de l’intérieur pour tout changer.
En 1988, quelques hauts responsables du ministère de l’Intérieur, sans doute par « pitié » pour lui, l’aident à soutenir une thèse de doctorat en droit à Lyon.
Ils contactent deux ou trois professeurs, des juristes qui ont fait fortune dans la promotion des pratique sanguinaires au Maroc, des courtisans patentés du système qui y sévit, et leur demandent de concocter une « soutenance » afin qu’il devienne « Docteur en droit » de la faculté Jean Moulin de Lyon.
Et c’est ainsi qu’il est devenu « Docteur dial lkhra ».
Mon oncle qui vit en France s’est déplacé pour assister à cette « soutenance » parce qu’il est poli et parce qu’il a le sens de la fraternité.
Il m’a fait savoir un jour que c’était une mascarade !
Lorsqu’il a été complètement éjecté du ministère, « Dctor dial lkhra » s’est mis à publier des écrits.
Son premier livre, publié en 1996 je crois, est une sorte de compilation bâclée et ennuyeuse.
« Dctor dial lkhra » n’arrête pas de boire et de se plaindre de sa femme.
Il est souvent mal vêtu, affamé.
Il est livré à lui-même, comme lorsqu’il était enfant à Tedders où il se rend de plus en plus.
Il s’arrête toujours à l’abreuvoir près duquel il était plongé dans un sommeil de cadavre.
Il traîne autour du souk où il errait.
Il marche et s’attarde à la gare routière.
Il ne veut pas retrouver le domicile à Rabat.
À Tedders, le peuple l’accueille.
Ce peuple dont il s’est éloigné pendant longtemps, essentiellement lorsqu’il se considérait comme une « personnalité », lui donne à manger et le fait rire.
Alors il mange et il rit de toute sa bouche édentée.
[…].
Je ne le qualifie pas de « Dctor dial lkhra » par mépris.
Non.
Je le fais par rage.
Je lui en veux
J’ai beaucoup d’affection pour lui, mais je le qualifie ainsi parce que chaque fois que je le vois, j’ai mal et je souffre.
Il y a deux ans, il m’a offert son dernier livre publié.
Je l’ai lu.
Il est mieux écrit, mais sans intérêt.
Un petit passage cependant a attiré mon attention :
"Il est dans la nature humaine de piétiner les hommes qu’on a adorés hier. L’homme qui tombe parce que la société l’a puni sombre dans le crépuscule d’une traversée du désert sans issue et sans fin. On mesure alors la sagesse de l’Ecclésiaste : Vanité des vanités, tout est vanité… J’ai donc observé tout ce qui se passe sous le soleil et j’ai vu que tout est vanité, poursuite du vent" ».
Chaque fois que je vois ce neveu lors de ses séjours en France, nous parlons de « Dctor dial lkhra ».[23]
[1] Se reporter à mes textes intitulés « Éléments », « Mutations », « Dans l’autre sens », « Protection ».
[2] Diffusé sur internet et intitulé « Dctor dial lkhra », qui signifie en dialecte arabe (ddarija) au Maroc, « Docteur de merde ».
[3] Selon le calendrier dit Grégorien.
[4] Tiddas, Tiddaas à une cinquantaine de kilomètres de Khémisset.
[5] Chaîne de montagnes.
[6] Né en 1922.
[7] Institution « scolaire » dite « berbériste » destinée à « former » des agents subalternes pour l’administration colonialiste.
[8] Jeu qui ressemble au golf, pratiqué par des enfants de la campagne qui ont recours pour cela à des bâtons et à une sorte de balle qu’ils confectionnent eux-mêmes.
[9] Le premier enfant, de son premier mariage.
[10] Azrou, non loin d’Ifrane (Ifraane).
[11] Originaires de Fès.
[12] Originaires de Rabat.
[13] Il est resté une dizaine d’années en France même si les études effectuées n’ont pas nécessité tout ce temps.
[14] Mon neveu parle de moi.
[15] Décédée en 1970.
[16] Mon père était un personnage du système et un des flics de l’aéroport ne le voyant pas comme d’habitude à l’arrivée de son fils, n’a pas manqué de l’informer immédiatement du débarquement de celui-ci avec une Française.
Il s’agissait de la première visite de cette Française au Maroc en 1966 je crois, et non pas en 1969 où elle arrivait pour s’y installer.
Cela ne change pas grand-chose quant au fond, au texte de mon neveu.
[17] À cette époque, mon neveu devait être âgé de deux ans.
J’ai vu la compagne de « Dctor dial lkhra » en France, en 1971 je crois (j’étais étudiant à Grenoble).
[18] Elle était juriste de formation et avait, comme « Dctor dial lkhra », un D.E.S. (Diplôme des Études Supérieures).
Au Maroc, elle avait travaillé presque un an dans un ministère sans être payée et avait envoyé une procuration à « Dctor dial lkhra » pour qu’il puisse bénéficier de l’argent qu’elle n’avait pas touché.
[19] Walmas, Walmaas, dans le Moyen Atlas, à une quarantaine de kilomètres de Tiddaas.
[20] Il a eu un troisième enfant, un garçon.
[21] Aujourd’hui, ses parents sont décédés.
[22] À une vingtaine de kilomètres de Khémisset.
[23] Voir :
http://raho.over-blog.com/
http://paruredelapiete.blogspot.com/
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com/
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